MARTIN BERTRAND

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Oasis Kerlanic

Dans la campagne reculée du Centre Bretagne, au bout d’une route que le GPS peine à indiquer, on finit par atteindre le lieu-dit Kerlanic, appelé par ses résidents « Oasis Kerlanic ». Il a été surnommé comme cela car, pour quelqu’un qui cherche à fuir la frénésie de notre société, c’est comme s’il était dans le désert et qu’il trouvait, au milieu de nulle part, une oasis.
Il s’agit d’un lieu où l’on vit en autonomie et en adéquation avec la nature, un lieu où chacun est le bienvenu et qui prône un mode de vie alternatif.« Mama Terra », c’est ainsi qu’on surnomme Audrey pour sa bienveillance permanente envers la nature et ses semblables ; c’est elle qui est à l’origine de cette initiative. Mère de deux enfants, elle a habité pendant 12 ans en région parisienne où elle pratiquait deux métiers à la fois : celui d’écrivaine publique et celui de styliste grande taille. 
C’est lorsqu’elle était enceinte de son premier enfant qu’elle commence à remettre en question sa vie: « Je ne voulais pas lui offrir le monde tel que je le percevais, qu’il subisse cette frénésie quotidienne. Il fallait aller toujours plus vite et je n’imaginais pas le voir uniquement le soir pour lui raconter une histoire. »
C’est un burn-out qui l’a poussé à dire STOP. En l’espace de deux mois, elle avait quitté ses différents jobs et son appartement afin d’acheter une maison en Touraine. « Ce n’était pas une fuite mais un grand bon en avant ». Ce passage en province a apporté son lot de prises de conscience au travers de rencontres avec des familles ayant déjà fait le choix d’un mode de vie alternatif. « Comme disait Paulo Coelho, tout l’univers conspirait comme si j’étais sur le bon chemin ». Elle avait changé, elle voulait plus d’autonomie, d’espace et de liberté. Avec ses enfants, ils aimaient partir respirer en Bretagne, ils ont donc décidé d’arrêter de faire des allers-retours. Ils ont acheté Kerlanic qui était à l’époque une ferme abandonnée datant du 17ème siècle dans un terrain de deux hectares.
« Dès le départ, j’ai voulu que ce soit un lieu d’accueil afin de créer une grande atmosphère familiale » Ce grand terrain à moitié occupé par une forêt est donc devenu un lieu public car, selon Audrey, « la Terre n’appartient à personne ».  En effet, qui veut découvrir le site, y planter sa tente, peut séjourner à la seule condition de respecter une charte, qui se contente d’énumérer des règles de bon sens. « Au début, c’était des gens de passage et puis, petit à petit, les gens ne savaient jamais vraiment quand ils repartiraient ».
Beaucoup d’habitants des alentours ont également éprouvé de l’affection pour le lieu. Tous ensemble, ils ont rénové le plus grand des bâtiments qui tombait en ruine. On y trouve désormais une cuisine, une salle commune ainsi que deux grandes chambres. 
Aujourd’hui encore, ils viennent apporter leur aide pour des chantiers participatifs comme la construction d’une paillourte, petit habitat composé d’un mélange de terre et de paille.
La seconde chose que Audrey a tenu à mettre en place est l’autonomie énergétique, pas question pour elle d’être tributaire des divers réseaux. Elle raconte encore : « Au début, en plein mois de Février, je dormais dans mon camion et je faisais un feu pour me faire à manger ». Désormais, une dizaine de panneaux photovoltaïques couvrent les besoins en électricité. L’hiver, on se chauffe grâce au poêle à bois, bien sûr sans couper les arbres : « On ne prend que ce que la forêt nous offre ».
Un système de récupération d’eau de pluie permet d’avoir suffisamment d’eau pour le ménage, la vaisselle et la toilette. Enfin pour l’eau potable, ils vont capter l’eau directement à une source proche. « A chaque fois que je vais à la source, j’ai l’image de cette femme africaine qui ramène des jarres d’eau pour sa tribu ». Pas question d’utiliser de l’eau pour faire ses besoins, des toilettes sèches ont été installées à différents endroits du terrain.

Les animaux sont très présents, on en compte plus d’une soixantaine. Chèvres, boucs, poules, chiens, chats et un jars vivent tous en liberté. Les poules pondent quand elles le souhaitent et seuls les oeufs qu’elles abandonnent sont consommés. De même pour les chèvres qui sont traites au gré de leur bonne volonté, afin d’offrir du lait et du fromage. Un grand potager a également été mis en place, on y pratique la permaculture ainsi que d’autres nouvelles formes d’agricultures soucieuses de l’environnement.
Pour le reste des besoins alimentaires, tous les mardis matin, il y a le marché de Rostrenen, la commune la plus proche, où sont regroupés des producteurs locaux.

Samuel âgé de 18 ans, fait partie de ces gens qui se sont rendu à Kerlanic sans savoir quand ils allaient repartir. Venu tout droit de l’Ariège, cela fait maintenant plusieurs mois qu’il est ici. « Je cherchais à vivre en communauté depuis longtemps. J’ai appelé Audrey et elle m’a dit de venir quand je le souhaitais, deux semaines après j’étais là ». A son arrivée, la transition avec son mode de vie normal n’a pas été facile mais il s’est acclimaté, et il est aujourd’hui très heureux d’avoir fait ce choix. « J’ai appris autant de choses en trois mois ici que dans toute ma vie, comme par exemple traire les chèvres, gérer le potager et même bientôt l’apiculture. J’ai aussi compris ce que c’était d’avoir des responsabilités ; on a un planning avec différentes tâches à faire, chacun choisit ce qu’il va faire et il s’y tient. J’ai également assimilé des notions de communication et de bienveillance, ce qui m’a permis d’avoir plus confiance en moi. »
Cet endroit est également un paradis pour les enfants. Ils ont de l’espace pour s’amuser, dépenser leur énergie et laisser libre cours à leur imagination. Agé de 8ans Noa, le fils d’Audrey, vit ici. Il ne va plus à l’école et c’est son choix. « On me demande de dessiner quand j’ai envie d’écrire et on me demande d’écrire quand j’ai envie de dessiner. C’est pas la liberté ça ! ». Il a donc fait un pacte avec sa mère dans lequel il s’engage à rester curieux et à continuer à s’intéresser au monde qui l’entoure. Pour ce qui est des fondamentaux de la langue et du calcul, l’enseignement lui est dispensé par sa mère ou via un groupement de parents dont les enfants sont dans la même situation. Souvent Noa se penche de lui-même sur des sujets qui l’interpellent, en ce moment il s’agit de la Seconde Guerre Mondiale. Il s’instruit également grâce aux nombreuses personnes de passage où quand il part en voyage avec sa mère. Noa se sent à sa place en ce lieu, il aime la nature et les animaux. Il connait la traite des chèvres sur le bout des doigts et maîtrise l’art du potager comme peu d’enfants de son âge.

Le premier week-end du mois d’Août a lieu le Festival Terre d’Espérance au sein de l’Oasis Kerlanic. Il s’agit d’un festival alternatif, convivial et sans alcool.

C’est l’hiver sur l’Oasis Kerlanic, une communauté au coeur du Centre Bretagne qui vit en autonomie alimentaire et énergétique. Le froid et l’humidité de ce mois de janvier impose une vie rude. Les bâtiments sont peu isolés. Le poêle à bois du salon devient ainsi le point de rendez-vous pour les âmes en quête de chaleur. Il est nécessaire d’aller souvent couper du bois dans la forêt mais, comme le répète Audrey, « pas question de prendre plus que ce que la forêt nous offre » ; seul le bois des arbres tombés est récolté. 
A la nuit tombée, les bouilloires ne cessent de siffler afin que chacun remplisse sa bouillotte d’eau chaude. Tandis que, au petit matin, il est très difficile de sortir des couvertures tellement l’air est glaçant.
On se rassure en se disant que nos aïeux vivaient ainsi.

Le lieu évolue, des constructions aboutissent et la communauté compte désormais de nouveaux habitants.
Ludovic est arrivé il y a un peu plus d’un an. Il estimait ne pas se sentir à sa place dans la société et il tapait régulièrement sur Youtube les termes « autonomie » et « autarcie ». Un soir, il est tombé sur une vidéo de l’Oasis Kerlanic et cela l’a subjugué. Il a rapidement contacté Audrey puis il est venu s’installer ici. Son premier hiver fut difficile mais il a tenu bon, il raconte encore : « Le matin, j’allais casser la glace pour pouvoir donner de l’eau aux animaux. Je recevais des giclées d’eau glacée sur le visage, ça réveille. ». Ancien cuisinier dans une chaine de restaurants traditionnels, il s’est désormais converti à la cuisine végétarienne et c’est lui qui régale toute la communauté.
Vincent a lui quitté son travail et son appartement il y a plus d’un an pour partir en voyage en Australie, au Laos et en Thaïlande. Il a vécu une certaine désillusion à travers ce voyage, déçu de retrouver les mêmes sociétés consuméristes jusqu’en Extrême-Orient et de réaliser que ce type de voyage s’avère souvent être un acte de consommation comme un autre. Il est ensuite rentré en France pour entamer un voyage plus simple, à vélo, avec d’autres ambitions. Celui-ci l’a mené jusqu’à l’Oasis Kerlanic où il est installé depuis plusieurs mois.
Il y a également Logan qui a vu mon premier reportage sur la communauté et qui a été intrigué. Lassé par la ville, il cherchait un lieu plus serein pour vivre. Il est passé une après-midi pour découvrir le lieu et ses habitants puis il est revenu quelques mois plus tard pour s’installer. Il était convaincu qu’il serait bien ici et qu’il n’hésiterait pas à donner de sa personne au quotidien. Il apprécie principalement sa liberté ainsi que l’omniprésence des animaux et de la nature. Plutôt réservé, il n’en est pas pour autant dénué d’humour. Il enchaine sans cesse les calembours avec Ludovic.

« La Terre n’appartient à personne »
Comme l’explique Audrey, elle n’est désormais plus l’unique propriétaire du lieu. Il appartient désormais à une SCI (Société Civile Immobilière) et compte donc de multiples propriétaires.
Audrey estime que le lieu est désormais plus structuré : « On a mis en place un parcours d’intégration pour les gens souhaitant rejoindre la communauté à long terme ». Ce parcours est basé sur « l’envie, le plaisir et le partage de deux valeurs fondamentales ». La bienveillance, « respect et amour envers soi-même, les autres êtres humains, les animaux et la Terre » ; ainsi que l’autonomie, « prôner une autonomie alimentaire, énergétique, et ne pas être dans la surconsommation ».
Les habitants de Kerlanic ont ressenti le besoin de « se protéger et protéger leur lieu de vie » car des personnes qui ne partageaient pas les valeurs en question sont venues, créant de réelles difficultés relationnelles. 
Audrey s’explique le sourire aux lèvres : « Cette vie fait rêver, et eux ils sont dans l’engrenage de la servitude moderne. Il s’agit d’un réel choix de vie de nous rejoindre et il faut l’assumer. Les gens ne se rendent pas forcément compte de l’aspect rudimentaire que cela incombe. Nous ne sommes pas spécialement à la recherche de nouveaux habitants, on n’est pas dans un recrutement. On laisse faire l’univers. ». Par ailleurs, l’accueil et les visites sont toujours de mise sur le lieu : «  On aime faire des rencontres. Cela nous permet de montrer que ce mode de vie est possible ainsi que de laisser aux gens la possibilité de faire tranquillement leur transition intellectuelle, citoyenne et écologique. » 
Grâce à l’arrivé de nouveaux habitants responsables, Audrey peut aujourd’hui déléguer une partie des taches essentielles à l’équilibre de l’éco-lieu. Ainsi, elle peut désormais donner des conférences et des formations en dehors de Kerlanic afin de partager plus largement ses valeurs. Elle travaille également à la fabrication de produits durables à base de matériaux de récupération comme des serviettes hygiéniques lavables. A travers cette action, elle est fière de pouvoir prôner le « zéro déchet ».

Noa lui ne va toujours pas à l’école. Il continue de faire ses propres choix. Récemment, il a même décidé de son propre chef de devenir végétarien.
Il entre dans l’adolescence et, même s’il est « différent », il commence à aller sur l’ordinateur comme les autres enfants de son âge.

Audrey confie que son souhait principal est que cet équilibre perdure le plus longtemps possible et elle incite chacun à « toujours garder espoir ».
 

C’est un nouvel été à l’Oasis Kerlanic, la pandémie de Covid-19 a également joué un rôle ici et les choses ont changé. Audrey nous raconte :
« J’ai été au courant en appelant une amie par hasard que les écoles allaient être fermées, j’ai ensuite appris pour le confinement. Clairement, j’ai de tout de suite eu peur des comportements humains, c’est ce qui m’a fait le plus appréhender. Peur du sentiment de peur qui aurait pu engender la colère et la violence. J’ai également eu de l’espoir, l’espoir qu’on arrête de produire en Chine, que les gens consomment différemment, que les parents passent plus de temps avec leurs enfants et commence à se parler.
Durant le confinement, je suis resté à la maison car j’étais considérée comme une personne à risques. Comme d’habitude, on allait au potager, on s’occupait des animaux, on produisait ce qu’on consommait, on faisait des jeux de société. On avait la chance d’être confiné sur deux hectares et demi. J’ai également été forcée d’apprendre à me servir des nouvelles technologies car les gens, leurs câlins et leurs sourires me manquaient.
Ce temps m’a permis de continuer la fabrication artisanale de produits “zéro déchets” dans mon atelier de couture et je me suis concentré sur la production de masques réutilisables que je vendais à prix coutant »
Vincent, son compagnon, s’occupant beaucoup de la partie agricole du lieu, cela permets à Audrey de se concentrer sur ses autres activités.

Comme nous l’explique Audrey, la vie en communauté a elle aussi évoluée. Désormais, à l’année, le lieu n’est habité que par Audrey, Vincent et Noa son fils.
« La vie en communauté est cyclique. Des personnes arrivent, forment un groupe, d’autres s’en vont. A la fin du dernier cycle, nous avons choisi de faire une pause dans la vie en communauté pour réfléchir à quel accueil nous voulions faire. En corrélation avec cela, il est arrivé des choses graves à des personnes qui me sont chères et elles ont eu du mal à trouver une écoute bienveillante. J’ai naturellement donné de mon temps et de mon amour. Je me suis senti utile. Je me suis aperçu que, suite à mes expériences personnelles, j’étais en capacité d’apporter un accompagnement émotionnel.
Tout est devenu ensuite plus clair. C’était le nouveau chemin que je voulais emprunter avec l’Oasis Kerlanic qui était déjà un lieu de paix. Ainsi, il s’agit désormais d’un lieu d’accueil de courte durée pour les personnes ayant traversée des évènements traumatiques, notamment pour les victimes de violences, agression sexuelle, accident ainsi que les personnes en deuil et les aidants. Pour le moment, ce sont principalement des femmes qui viennent chercher de la sérénité, de la compréhension et des informations sur les possibilités de réparation des préjudices subies.
Noa a pris cette nouvelle avec beaucoup de bienveillance. Il est plein d’empathie et contribue à cette sérénité globale. »

Il a maintenant onze ans et se complaît dans la fin de la vie en communauté. «  Je préfère aller voir mes copains chez eux plutôt qu’il y ai tout le temps des gens ici. On se voit souvent. En plus, depuis le Covid, beaucoup d’entre eux ne sont plus scolarisés. ».
En continuant de grandir, ses choix s’affirment : « Maintenant, j’ai encore moins envie de retourner à l’école. Je n’ai pas envie d’être pressé par les obligations des profs. Je veux pouvoir creuser et aller au bout de ce qui m’intéresse. Là je veux apprendre l’anglais car c’est la matière que je connais le moins. Et j’aime bien l’idée de pouvoir parler d’une autre manière. Je vais apprendre avec ma cousine anglophone.
Comme les autres, je suis tout le temps en train d’apprendre. J’aide Vincent à s’occuper des animaux, je vais dans la forêt et j’ai un trampoline maintenant. Je fais beaucoup de musiques, j’aime beaucoup les instruments et je joue aussi à la console. ».

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