MARTIN BERTRAND

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Après la guerre, la guérison

Déjà fragilisé par des crises à répétition, le Soudan connaît depuis avril 2023 une guerre civile au bilan humain désastreux. Un grand nombre de victimes encore difficile à estimer et des destructions massives affectent durablement les infrastructures du pays. Ce conflit armé est à l’origine du déplacement de près de 8 millions dhabitants, dont plus de 3 millions denfants, qui ont fui les violences vers dautres régions ou vers les états limitrophes.
À ce jour, c’est 640 000 réfugiés soudanais qui ont traversé la frontière pour se rendre au Tchad. Les acteurs humanitaires se mobilisent face à cette crise de grande ampleur dans le deuxième pays le moins développé au monde d’après le classement IDH des Nations Unies.

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Une région déboussolée

Adré, localité tchadienne presque accolée à la frontière soudanaise, se trouve aujourd’hui être le réceptacle d’une crise qui la dépasse. En raison de labsence d’infrastructures de transport, ce territoire à lextrême Est du Tchad est peu relié au reste du pays et notamment à la capitale N’Djaména se trouvant tout à l’Ouest. De longs chemins de terre ocre cabossés traversant une biodiversité subsaharienne inaltérée ne sont alors que l’unique moyen de rejoindre cette région.

À la fin du mois d’avril 2023, éclate au Soudan voisin, plus précisément dans la capitale Khartoum et dans la région du Darfour, une violente guerre civile où deux camps s’opposent. D’un côté, les Forces armées soudanaises (SAF) dont le chef Abdel Fattah al-Burhan dirige le pays depuis le coup d’État de la junte militaire en 2021. En face, les Forces de soutien rapide (RSF), créées initialement en 2013 pour combattre durant la première Guerre du Darfour et dont le chef Mohamed Hamdan Dogolo aspire à prendre le pouvoir.
« C’est un conflit que, je crois, l’ensemble des acteurs n’ont pas vu venir, ou du moins sa résurgence sous cette nouvelle forme. L’attention de la communauté humanitaire dans la région était plutôt portée sur les affrontements au Sahel central et la lutte contre Boko Haram » admet Xavier Creach, Directeur régional adjoint du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR). « Pour moi, ce conflit est surtout caractérisé par un extraordinaire niveau de violation des droits de l’homme. On parle beaucoup de la guerre, des différents groupes armés ou factions qui s’opposent… Mais on ne parle pas assez des victimes civiles et on ne parle pas assez des violences systématiques qui ont été mises en œuvre à l’égard de certaines minorités et de l’atrocité des crimes commis. Moi, après 29 ans de mission au UNHCR, je ne peux m’habituer à ces drames humains, aux femmes qui racontent comment elles ont vu leur mari et leurs enfants brûlés vifs dans leur maison, aux viols, aux attaques sur les civils qui essayent de fuir. »

Les conséquences de cette guerre dépassent les frontières du Soudan, bouleversant la région tchadienne du Ouaddaï. La ville d’Adré et ses alentours deviennent alors un refuge pour des centaines de milliers de victimes civiles de ce qui est considéré comme la plus importante crise humanitaire actuelle de la planète.
« Automatiquement, ça crée un poids énorme sur la population de 40 000 personnes qui habite ici, avec une inflation exceptionnelle des loyers, des biens et des marchandises. La communauté hôte peine à trouver de la nourriture à des prix raisonnables et n’arrive même plus à se loger. Certains loueurs vont jusqu’à expulser des locataires pour les remplacer par des personnes qui payent plus cher » confie Sébastien Arrivé, Responsable des opérations humanitaire dAtlas Logistique, division logistique de Handicap International, à Adré. « Et il faut savoir qu’avant la guerre, la quasi-totalité des marchandises qui étaient consommées ici venaient du Soudan, d’où la difficulté de trouver des produits à l’heure actuelle. En plus, en cette saison des pluies, s’ajoute le problème des ouadis qui sont nombreux et importants dans la région. Ils sont particulièrement dangereux car, alors qu’on se croit en plein désert, on peut se retrouver en seulement quelques minutes dans un fleuve avec un courant très important. Chaque semaine, des camions et des voitures sont emportés par les eaux. Sur la route, on est donc obligé d’attendre que le courant s’estompe pour traverser, ce qui peut prendre parfois des heures ou même des jours. ».

C’est justement en pleine saison des pluies avec des routes impraticables à cause des crues des ouadis qu’il a fallu gérer la plus grosse vague d’arrivée de réfugiés comme le rappelle Xavier Creach : « Les organisations humanitaires ont fait un travail que je pense extraordinaire pour sauver des vies dans des conditions difficiles et éviter une catastrophe terrible. On aurait pu voir des milliers et des milliers d’autres vies perdues. Au Tchad, les acteurs humanitaires en coordination avec les autorités tchadiennes ont fait face à une urgence de grande ampleur pour organiser la survie malgré les épidémies, le choléra… Enfin, organiser la survie, sauver des vies, ça ne suffit pas car la prise en charge des réfugiés sur le long terme est un défi énorme. »

Des camps aux dimensions d’agglomérations

« Ici, le camp d’Adré qui retient l’attention du monde entier » indique Sebastien Arrivé face à ce paysage de baraquements improvisés faits de brindilles et de toiles usées s’étalant à perte de vue sur les reliefs. Plus de 250 000 personnes se sont spontanément installées sur ce site qui, au regard du droit international, n’est pas un camp en tant que tel, seulement un point de transit. Cela implique qu’il n’y a pas d’investissements et d’engagements à long terme de la part des autorités comme dans les autres camps. « C’est un bidonville surpeuplé » concède Eric Ndiramiye, le responsable des programmes de réadaptation de Handicap International dans la région, dont les équipes interviennent sur place en partenariat avec l’ONG Acted pour identifier les besoins en santé mentale et réadaptation. « Les réfugiés sont supposés ne rester ici qu’un mois au maximum afin d’effectuer les démarches liées à leur arrivée, pour ensuite partir dans un vrai camp. Il n’y a donc pratiquement pas de prise en charge et certains réfugiés peuvent passer trois ou quatre mois sans recevoir aucun vivre. »
Comme nous l’explique Alida Mahoro, la responsable technique des programmes de Santé Mentale de Handicap International, une grande partie des réfugiés sont installés ici depuis plus d’un an : « La plupart résistent pour ne pas partir dans les autres camps qui sont certes organisés et aménagés mais complètement isolés selon certains d’entre eux. La vie est plus animée ici car les réfugiés sont proches de la ville. Ils peuvent donc travailler, développer des petits commerces et gagner quelques sous. » En effet, la délimitation entre ce camp informel et la ville d’Adré semble peu à peu s’estomper et c’est une vraie ambiance de village que l’on constate à l’entrée du site. Au petit matin s’improvise un marché bruyant où des hommes transportent des denrées à l’aide d’équidés ou de mobylettes tandis que des femmes dressent des étals au sol pour vendre de la nourriture. Juste à côté, en silence, une centaine de personnes, principalement des femmes, des enfants et quelques vieillards, attendent patiemment sous la pluie, le regard grave, devant les tentes des autorités pour s’enregistrer. Ils sont arrivés du Soudan durant la nuit.

L’autre problématique de ce site est sa trop grande proximité avec le Soudan. « Pour leur sécurité, il faut absolument éloigner les réfugiés de la frontière. Lorsqu’on est à seulement quelques kilomètres, le risque d’attaques depuis le pays d’origine est extrêmement lourd » explique Xavier Creach avant de raconter que, l’année dernière, un obus tiré par une milice depuis le Soudan était tombé sur le site, faisant une blessée. « Avoir un grand nombre de réfugiés en zones frontalières, c’est risquer de voir le conflit déborder. Il y a aussi la possibilité que des combattants armés viennent se glisser parmi les réfugiés. Pour cette raison, notre objectif est d’éloigner les réfugiés idéalement à 50 kilomètres de la frontière, c’est-à-dire à plus d’une journée de marche. »

Plus au sud, après deux heures de voiture, apparaît le camp d’Aboutengue. À l’inverse du précédent, beaucoup dONG sont présentes sur le site. Elles prennent en charge des besoins tels que les soins ou linstruction. Juxtaposées en quadrillage les unes aux autres, de petites parcelles de terrain clôturées par des branches plantées dans le sol accueillent chaque famille. On y retrouve une habitation sommaire construite en bois recouverte d’une bâche à côté de laquelle certains installent un petit abri comme lieu de convivialité pour recevoir des visiteurs. D’autres profitent de leur terrain pour cultiver du sorgho dont les feuilles d’un vert vif détonnent avec la monochromie terne du camp.
Créée hâtivement en Juin 2023 au milieu de nulle part, cette agglomération qui naurait pas lieu d’être si la guerre ne s’était pas déclenchée accueille 53 000 réfugiés. Le camp est subdivisé en quartiers numérotés : Bloc 1, Bloc 2, Bloc 3, etc… Impossible de ne pas être frappé par le grand nombre d’enfants qui résident ici, jouant sur les chemins sous les regards lointains de leurs mères.
Dans l’espace de réadaptation de Handicap International, on s’affaire pour prendre en charge le plus de patients possible dans le court laps de temps que le couvre-feu impose aux équipes. La demande est grande, une quarantaine de personnes attendent silencieusement afin de recevoir une séance de kinésithérapie pour se rétablir de blessures dont ils subissent encore les séquelles plusieurs mois après leur arrivée. À l’intérieur, Eric Ndiramiye appose un plâtre sur la jambe d’une femme. « Elle s’était fait une fracture ouverte du tibia en fuyant le Soudan. Sa blessure était presque réparée mais elle a trébuché avant-hier et son os s’est de nouveau cassé. Nous sommes donc forcés de la plâtrer pour un mois et demi » explique-t-il, la radiographie de la patiente sous les yeux. Alors que, dans les dédales du camp, femmes et enfants sont largement majoritaires, ce sont ici des hommes en grand nombre qui viennent faire soigner les traumatismes des exactions subies. L’un d’entre eux, Moussa, âgé de 40 ans et père de deux enfants, est originaire de la ville soudanaise El-Geneina, capitale du Darfour-Occidental. Arrivé au Tchad en juin 2023, il a vécu au cœur du conflit durant un mois et demi. « Au début de la guerre, des explosifs ont commencé à tomber partout. Avec ma famille, nous nous sommes déplacés dans un endroit où il n’y avait pas encore de violences. Je m’occupais de mes enfants et des personnes âgées tout en continuant de faire des aller-retours en ville et dans notre ancienne maison jusqu’au jour où j’ai été blessé. » Cinq guerriers l’ont attaqué. L’un d’entre eux voulait l’exécuter. Alors qu’ils étaient en train de se disputer entre eux, ce dernier a pris son arme et lui a tiré sur le bras gauche. Une fois ses assaillants repartis, Moussa, couché au sol, a étalé le sang de sa blessure sur son corps afin de se faire passer pour mort. « D’autres guerriers sont ensuite passés devant moi et m’ont assailli de coups de pied. Je n’ai pas bougé et, me croyant mort, ils ont fini par partir. Je suis resté comme ça jusqu’à la tombée de la nuit. » Finissant par regagner son domicile, sa mère lui a improvisé des bandages avec des mouchoirs. C’est là qu’il a décidé qu’il était temps de quitter son pays. « Dès cette nuit, il vaut mieux qu’on s’en aille » lui a-t-il dit avant de rajouter « si je peux vous accompagner, ça sera bien mais, dans le cas où je n’en serais pas capable, ne t’arrête pas. Tu emmènes les personnes âgées et les enfants avec toi et tu me laisses. » Au fur à mesure de la traversée, ils se sont joint à d’autres groupes faisant route vers la frontière. Face à sa difficulté à marcher, ils ont insisté pour continuer sans lui. « Tu vas nous ralentir. On va accompagner ta famille, mais toi, tu restes ici ». C’est au lever du soleil qu’un véhicule de Médecins Sans Frontières qui ratissait la zone l’a pris en charge. Un docteur a pu lui prodiguer des soins d’urgence et, deux jours plus tard, il a été emmené à l’hôpital d’Adré où il a pu retrouver sa famille. « Dieu merci, mes enfants et mes parents sont sains et saufs, mais j’ai perdu beaucoup de proches. ».
Ces histoires tragiques sont malheureusement courantes parmi les réfugiés. La dureté du récit contraste avec les chants d’enfants perceptibles au loin. Au bout de l’allée subsiste une parenthèse chaleureuse où des enfants, en cercle, tournent et tapent des mains au rythme de chansons qu’ils semblent tous connaître par cœur. C’est l’entrée de l’Espace Ami d’Enfants de Handicap International supervisée par Alida Mahoro. Les plus jeunes sont à l’intérieur assis calmement sur des nattes, occupés à dessiner ou à assembler des cubes de couleurs, tandis que les adolescents à l’extérieur participent à des sports collectifs : volley-ball pour les filles et football pour les garçons. « Au départ, la plupart d’entre eux étaient timides, isolés, déprimés ou agressifs. Nous faisons des activités récréatives pour qu’ils tentent d’oublier un peu les événements traumatisants qu’ils ont vécus et qu’ils se socialisent avec d’autres enfants. Notre objectif est également d’accueillir des enfants en situation de handicap blessés lors du conflit afin de leur permettre de renforcer leur capacité physique et motrice. On essaye aussi de les accompagner sur le plan individuel via des entretiens ou bien des groupes de discussion » détaille Nestor Sainkam, chargé de soutien psychologique.

Trouver un lieu pour établir les réfugiés est toujours le résultat de beaucoup de travail en amont comme l’explique Xavier Creach : « il faut trouver un terrain que les autorités tchadiennes nous permettent d’utiliser. Ça a l’air bête parce qu’on a l’impression que c’est du désert mais pourtant ça appartient à des gens. Il faut également une terre où il y a de l’eau en dessous pour que l’on puisse permettre aux populations réfugiées, un jour, de devenir autonomes. Si on construit un truc complètement perdu au milieu du désert, ils vont dépendre de notre assistance toute leur vie. Or, notre but, c’est justement de leur permettre de recommencer une vie autonome. »

À l’Ouest d’Adré, à côté de la base des Nations Unies, le camp de réfugiés de Farchana existe depuis la première guerre du Darfour en 2004. Vingt ans ont passé et il s’apparente désormais à un village où les habitants ont amélioré leurs espaces de vie. En mai dernier, une extension a été mise sur pied par les Nations Unis afin de reloger les 7 800 réfugiés de la nouvelle guerre civile qui avaient été auparavant installés au camp de transit d’Ambelia. Peu d’ONG sont actives dans le camp. Toutefois, les agences humanitaires des Nations Unis sont très présentes, notamment le Haut Commissariat des Nations Unis, UNICEF et le Programme Alimentaire Mondial. Leurs logos sont partout sur le site, apposés sur chaque habitation ou latrine. « Dans le camp de transit dAmbelia, nous assurions, en coordination avec MSF qui gérait les urgences, la prise en charge des patients pour la réadaptation et le soutien en santé mentale » explique Eric Ndiramiye. « C’est donc pour assurer le suivi de nos patients que nous sommes présents ici à Farchana ». Au milieu du camp, trois tentes sont dédiées aux activités humanitaires. Les deux premières sont consacrées aux activités de réadaptation de Handicap International et aux soins dispensés par International Rescue Committee qui a pris la suite de MSF dans le camp. Quelques mètres plus loin, la troisième abrite les groupes de parole de soutien psychologique de Handicap International. « Dans ces groupes de parole, on regroupe des personnes qui ont quasiment les mêmes difficultés pour permettre de libérer la charge émotionnelle »  détaille Alida Mahoro. Une fois par mois, pour se féliciter du travail accompli, les bénéficiaires s’octroient un moment de légèreté à travers une activité de cuisine communautaire. A l’entrée de la tente, une dizaine de femmes à l’humeur joviale prépare des beignets et du café traditionnel soudanais à base d’épices qu’elles partageront ensuite avec les autres participants.

Fadila, originaire aussi de El-Geneina, reçoit également des soins de réadaptation et du soutien psychologique mais elle reste dans son habitation en raison de ses difficultés à se déplacer. La pluie s’abattant soudainement sur le camp, ses quatre enfants rappliquent immédiatement pour se mettre à l’abri. Dans ces 10 mètres carré de refuge au sol terreux sont apposés des nattes, des couvertures et un petit matelas, recouverts d’une moustiquaire. A l’entrée, le foyer d’un feu fraîchement éteint entouré de quelques casseroles sert à cuisiner. Difficile de ne pas remarquer la prothèse posée dans un coin de la cabane qui se substitue désormais à la jambe gauche de Fadila. Après avoir passé plus de sept mois dans le camp de transit d’Ambelia, elle est installée au camp de Farchana depuis trois mois. Son départ du Soudan s’est précédé d’une succession d’horreurs. « Alors que nous étions chez nous, dans notre maison, les rebelles ont débarqué et ont tiré sur tous les hommes. Mon mari, le père de mes enfants, ainsi que son frère, ont été tués. Avec mes enfants, nous sommes directement partis nous réfugier chez nos voisins. Là, les rebelles sont revenus et nous ont encore tirés dessus. J’ai été touchée à la jambe et je suis tombée. Dans toute la ville sévissaient des violences, des tirs et des meurtres. On ma emmenée à lhôpital où j’ai reçu une opération chirurgicale mais nous n’étions pas en sécurité. Ils ont pénétré à l’intérieur de l’établissement et ont tiré sur de nombreuses personnes. Tous les patients et le personnel de l’hôpital sont donc partis pour tenter de gagner le centre militaire à l’extérieur de la ville. Mon fils m’a mise sur son petit vélo pour pouvoir me transporter mais, sur la route, les attaques ont continué. Je suis tombée de nouveau et mes blessures se sont aggravées. Nous n’avions nulle part où aller et les gens ont fini par décider de partir traverser la frontière. Personne n’était alors en capacité de me porter pour m’emmener. J’attendais donc seule, assise au sol, quand soudain j’ai aperçu un âne sur lequel quelqu’un a pu me transporter. Toutes les personnes qui ont essayé de traverser ont été suivies par les rebelles qui tentaient de les tuer une par une pendant qu’ils couraient pour fuir le pays. Sur le dos de cet âne, j’ai fini par passer la frontière et je suis arrivée jusqu’à Adré où j’ai été prise en charge à l’hôpital. » Le personnel médical alors démuni face au très mauvais état de sa jambe ont décidé de la transférer à Abeche, le chef-lieu de la région. C’est là-bas que les médecins, au regard de la situation, l’ont amputée.

Une réponse humanitaire conséquente et coordonnée

Pour palier l’absence d’infrastructures de transport et acheminer l’aide humanitaire, la flotte du Service aérien humanitaire des Nations Unies (UNHAS) a été déployée sur le territoire tchadien. Assurant des liaisons quotidiennes et des évacuations médicales, elle est essentielle pour permettre aux travailleurs humanitaires de rejoindre Adré et les territoires de l’extrême Est du pays. Réhabilitée en urgence par Atlas Logistique au début de la crise, Adré possède désormais sa piste d’atterrissage et de décollage. La ville est très vite devenue le lieu d’établissement des ONG œuvrant dans la région. La base de Handicap International est voisine de celle du Danish Refugee Council, MSF Espagne, un peu plus loin Action contre la faim, et ainsi de suite.

Les entrepôts d’Atlas Logistique, qui gère la chaîne d’approvisionnement pour différents acteurs humanitaires notamment à travers du stockage et de la préparation de kits, sont l’illustration de l’ampleur de cette réponse coordonnée. « Nous travaillons avec 24 ONG partenaires dont nous entreposons les denrées sur place. Cette semaine, nous avons par exemple préparé 800 kits pour Acted avec des couvertures, des moustiquaires et des savons » explique Brahim Hamdane Azib, le gestionnaire des stocks. L’après-midi, c’est une trentaine de journaliers qui s’affairent dans les différents entrepôts. D’un côté certains préparent des kits d’hygiène avec notamment des sceaux, serviettes de toilette, brosses à dents et dentifrice ; d’autre des kits alimentaires avec du sorgho , du millet et du sel. Ils seront distribués dans la semaine aux réfugiés des différents camps. « Pour la Croix-Rouge, ces entrepôts permettent de stocker énormément de choses. Au début, quand nous sommes arrivés à Adré, nous avions beaucoup de vivres mais nulle part où les conserver. Quand j’ai été informé qu’il y avait une plateforme logistique avec des espaces sécurisés disponibles pour les partenaires humanitaires, je suis immédiatement venu rencontrer les responsables. » explique Mahamat Bachar, le Chef de projet de distribution de la Croix-Rouge.

« Notre grande recherche est actuellement de trouver des fonds pour faire de la température dirigée » détaille Sébastien Arrivé d’Atlas Logistique. « Ici, on dépasse allègrement les 25 degrés tous les jours. En conséquence, nous sommes obligés de transporter et de stocker les médicaments sous climatisation, comme une sorte de chaîne du froid. » Un système d’énergie solaire avec un générateur de secours serait nécessaire afin de permettre des suivis de température très précis. C’est une installation qui demande de gros investissements alors que, pour le moment, il n’y a pas d’électricité dans les deux entrepôts. « Nous ne pouvons donc pas faire d’entreposage de médicaments, ce qui est la plus grosse demande de nos partenaires. En ce moment, la grosse épidémie ici à Adré, particulièrement dans le camp de transit, c’est l’hépatite E. Il y a aussi des cas de méningite, on a suspecté des cas de lèpre et il y a évidemment la fièvre jaune et la dengue transmises par les moustiques à la saison des pluies principalement. On a très peur de la variole du singe mais, pour l’instant, il n’y a pas eu de cas. »

Médecins Sans Frontières est aussi présent depuis plusieurs années dans la région. Il y a un an, au plus fort de la crise, leurs équipes ont mis sur pied un hôpital entier pour prendre en charge les urgences à côté de l’hôpital de district d’Adré. « En 2023, à partir du mois de mars, la situation dégénère et on commence à recevoir des afflux massifs de blessés. Au départ, des centaines en quelques jours, puis des milliers en moins d’une semaine » raconte Romain Pinart, Coordinateur de projet pour MSF France à Adré. « On a déployé un hôpital complet, ce qu’on appelle le Modular Field Hospital, avec tous les services associés : radiologie, stérilisation, etc… Cela nous a aussi permis de renforcer nos interventions en santé sexuelle et reproductive, notamment grâce à la maternité, qui a été ajoutée à ce moment-là. Les activités qui ont surtout été marquantes, c’était la chirurgie traumatique, viscérale et orthopédique. Pendant 12 mois, on a reçu énormément d’urgences, au moins 6 000 personnes. ». Constatant la diminution des arrivées de blessés de guerre depuis le début de lannée 2024, l’ONG a choisi de retirer son hôpital pour intervenir en appui du système de santé tchadien. Ils maintiennent donc actuellement une maternité de 40 lits au sein de l’hôpital de district ainsi que des unités de pédiatrie, malnutrition et paludisme pouvant atteindre une capacité de 140 lits.

Un avenir incertain pour une population bouleversée

« Le Tchad n’est pas un terrain qui est nécessairement très sexy d’un point de vue des financements. On va donc se retrouver avec des problèmes de sous-financement chroniques. Dans ces conditions, difficile d’assurer la sécurité alimentaire, l’acheminement de l’eau, l’installation de nouveaux camps. Déjà aujourd’hui, les premiers camps qui ont été consolidés par le UNHCR sont tous pleins » confie le coordinateur de MSF. En effet, les difficultés de financement sont majeures au regard de l’ampleur des besoins comme le détaille également Xavier Creach : « Je pense pouvoir parler au nom de tous les acteurs humanitaires quand je dis que le défi est énorme puisque nous sommes dans une situation financière où l’on revoit constamment nos priorités à la baisse. Pour l’ensemble du Tchad, on aurait besoin de 630 millions de dollars. Sur ces 630 millions de dollars, nous en avons reçu seulement un quart. Donc, on fait un quart de ce qu’on devrait faire et il y a les trois-quarts des besoins des populations qui ne sont pas satisfaits. »

Comme le rappelle le Directeur régional adjoint du UNHCR, l’avenir est incertain et il reste encore beaucoup de chemin pour trouver des solutions pérennes qui permettent à ces 640 000 réfugiés de recommencer leur vie dans des conditions dignes. « Dans les camps, la population est extrêmement jeune. Or, ces populations viennent de centres urbains du Darfour. Quand ils se retrouvent dans des maisons en plastique, ils ne voient pas très bien quel est leur futur et ils n’ont pas envie d’être là pendant 20 ans. Je crois que c’est notre mission d’offrir à cette jeunesse des options locales, parce que les mauvaises options existent. Il y en a au moins deux : la première, c’est le recrutement par un groupe armé, et la deuxième, c’est qu’ils se sentent obligés de risquer leurs vies à traverser le Sahara ou la Mer Méditerranée pour avoir accès à l’université. On se doit donc d’offrir une perspective d’avenir et des opportunités à cette jeunesse ».

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