Depuis la sortie du film Dark Waters en 2020, le monde entier a découvert l’histoire glaçante de l’usine DuPont – aujourd’hui Chemours – en Virginie, et des effets dévastateurs du Téflon sur la santé humaine. Maladies auto-immunes, cancers, malformations : les conséquences de cette industrie chimique sont désormais bien documentées. Ce que l’on sait moins, c’est qu’à des milliers de kilomètres de là, aux Pays-Bas, une autre usine perpétue cette histoire de pollution invisible.
À Dordrecht, dans le sud-ouest du pays, Chemours fabrique du Téflon depuis plus d’un demi-siècle. Pendant des années, ce matériau miracle a été produit à base de C8 – ou acide perfluorooctanoïque – une substance classée parmi les plus préoccupantes selon le règlement européen REACH. Pourtant, jusqu’en 2012, rien ou presque ne viendra interrompre cette production. Et même lorsque Chemours abandonne le C8, c’est pour le remplacer par le GenX, un substitut que l’Agence américaine de protection de l’environnement juge tout aussi toxique.
Aujourd’hui, l’usine inquiète autant qu’elle indigne. Selon les travaux de l’Institut national de la santé publique (RIVM) et de l’Université d’Amsterdam, les niveaux de contamination autour du site restent alarmants. Eau, air, sols : partout, des traces persistantes de C8. Et désormais, du GenX. Comme si cela ne suffisait pas, un gaz issu de l’usine – le perfluoroisobutene, utilisé comme arme chimique – se retrouve aussi dans l’atmosphère. Un gaz capable de tuer instantanément.
À Dordrecht et dans les communes voisines, ce sont près de 120 000 habitants qui vivent avec l’angoisse au quotidien. Beaucoup sont malades. D’autres se battent pour faire reconnaître les liens entre leur état de santé et l’activité de l’usine. Ils sont voisins, anciens employés, enfants. Ils souffrent de cancers, de troubles neurologiques, de pathologies auto-immunes. Et ils veulent justice.
Car Chemours n’en est pas à son premier scandale. Dans les années 70 déjà, l’usine – alors active dans la production de Lycra – employait des centaines de femmes. L’un des solvants utilisés, le DMAc, s’écoulait directement sur leur peau. Résultat : fausses couches, malformations, autisme. Les témoignages sont nombreux, les plaintes aussi. Une enquête du ministère néerlandais du Travail a depuis confirmé que la direction connaissait la dangerosité du produit. Rien n’a été fait.
Aujourd’hui encore, la stratégie semble inchangée : reconnaître le moins possible, externaliser les responsabilités. Pire : les déchets de GenX échappent à tout contrôle. Interdit de traitement sur le territoire néerlandais, leur destination reste floue. Un temps envoyés en Italie, puis incinérés, ils prendraient désormais – sans preuve formelle – la route du Texas. 90 tonnes métriques de résidus toxiques, dont personne ne sait exactement ce qu’ils deviennent. Une situation que les scientifiques, comme le toxicologue Jacob De Boer, jugent extrêmement préoccupante.
À Dordrecht, l’histoire du Téflon n’a jamais été un simple problème de pollution. C’est une tragédie humaine et environnementale. Un long poison silencieux. Et un combat, aujourd’hui, pour la vérité.